Canal Historique

Lyon est une ville molle et grasse, supra-bourgeoise et sous-mystique. Né dans cette cité, tout jeune homme moderne ne peut véritablement penser qu'à une seule chose : en partir un jour ou l'autre, afin de pouvoir s'adonner sans honte aucune à une étrange nostalgie impérieuse envers cet univers vague et obscur compris entre Rhône et Saône : Lyon, ou la saudade du saucisson. Certains, hardiment enivrés de brouilly capiteux, ont choisi l'exil vers le Sud, se tournant vers le futurisme acéré des roches massaliotes et les morves burlesques des arabes cachectiques. D'autres ont préféré se livrer à la joie sans fin "d'une éternité s'entourant de tous les attributs de Dieu" : ils sont bienheureux, "parce que la joie céleste est l'attitude vraie du désespéré", et décadents, "comme un hommage aux putes". A l'origine, ils furent au nombre de deux pour le premier exemplaire de leur revue, dédiée à l'art et l'enthousiasme. Don Juaneda, épris d'Eustache et des casseurs (‘seuls manifestants respectables') est depuis lors parti rejoindre Léaud dans l'extrême et chaude solitude des êtres dénués de téléphone portable. Le second couteau, Calendal, quitte la rue Royale (Lyon 1er) pour la rue de Berne (Paris 8è) : la décadence comme ligne de vie. Six ans lui sont nécessaires pour se décider à rédiger seul le deuxième numéro de cette revue, vouée à sa propre Guerre Sainte de catholique solaire dévoré par le feu : tout détruire et tout brûler, le Christ reconnaîtra les Siens. Six ans : c'est exactement le temps qu'il a fallu à Dieu pour envoyer une balle dans le front de Péguy après que celui-ci ait fait à son ami Lotte la confidence suivante : ‘Je ne t'ai pas tout dit… J'ai retrouvé la foi… Je suis catholique…'.
(in Cancer n°6, 06/2002)

Aujourd'hui, Monsieur de Colleville est remonté du sud, comme un oiseau migrateur qui revendrait sur une terre jadis aimée, comme lui, il ne trouve qu'ordure et ruines. Bienheureuse Décadence car notre monde s'en va et que nous congédions ses manies. Aujourd'hui Calendal est à la tête d'une tribu de sauvageons bien éduqués et n'a plus recours aux cocktails prohibés. Bienheureuse Décadence car  l'aube d'un matin nouveau pointe.
Bienheureuse Décadence revient transformer la rage, changer l'eau en vin, les programmes en constructions enfantines, la perspective en folie totalitaire...
Nous reprenons le vieux cri de guerre :
Contre l'injuste Milieu, le juste Extrême.